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Publié le 11 janvier 2017

Personne n’est en droit d’interdire d’aimer

septembre 2001 – Soins infirmiers – Brigitte Longerich.

Certains groupes de population n’ont pas accès – n’ont pas droit… – à une vie affective et sexuelle possible. Les personnes handicapées constituent l’un de ces groupes. Des professionnels de la santé s’investissent pour que ce droit élémentaire puisse être garanti aussi souvent que possible.

Encore un tabou qui a la vie dure: on ne parvient pas à imaginer que les personnes souffrant d’un handicap, mental ou physique, puissent avoir une vie sexuelle, et tendre, comme chacun d’entre nous, à un épanouissement à travers ce qui est l’un des besoins fondamentaux de l’être humain.

Les raisons? Elles sont à rechercher dans des registres comme la peur, la morale, la responsabilité, mais souvent aussi l’ignorance, le déni ou encore la paresse.

Des êtres immatures?

Les témoignages recueillis auprès de parents de personnes handicapées mentales font ressortir que ces derniers ont de la peine à voir leur enfant évoluer vers le monde adulte: comme si le handicap – malgré toutes les différences et nuances qui le caractérisent – empêchait toute croissance et toute évolution. Pourtant, chaque individu passe par les mêmes stades de développement biologique et le jeune handicapé atteint forcément un jour le stade de la puberté.

«Je ne peux pas l’éduquer comme mes autres enfants… le dialogue est présent mais les autres se débrouillent seuls. Pour Etienne, c’est différent, il a des copines et pour l’instant cela ne pose pas de problème, mais plus tard, je ne saurai que faire, car il est beaucoup plus dépendant de moi que les autres. Je ressens un malaise, car habituellement les parents n’accompagnent pas leurs enfants devenus adolescents dans leurs premières expériences », confie une mère de plusieurs enfants, dont un fils trisomique de 14 ans.

Si le problème se pose de manière aiguë à l’adolescence, il n’en est pas pour autant résolu lorsque la personne handicapée est adulte. Celle-ci a constamment besoin de l’aide de tiers dans sa vie et accède, au mieux, à une autonomie relative. Ce tiers aidant peut devenir en même temps, qu’il le veuille ou non, un tiers voyant, pensant, décidant, agissant et enfin jugeant, qu’il soit un professionnel ou un membre de l’entourage proche. Pour ce qui est de la sexualité également, la personne handicapée dépend de son entourage et de l’ouverture que celui-ci manifeste – ou non – par rapport à cet aspect.

Le Moyen Age a duré longtemps…

Il est peut-être bon de rappeler que les personnes handicapées n’ont accédé que très tard au statut de «personne à part entière». Des pratiques moyenâgeuses ont été en vigueur jusque vers 1950–1960, puisqu’on les considérait tout simplement comme des objets, parqués, gardiennés presque comme des bêtes et dont on assurait uniquement la survie.

Lorsqu’un enfant handicapé venait au monde, les parents de celui-ci s’entendaient dire: «Débarrassez-vous-en, confiez-le à une institution spécialisée, sinon ce sera un fardeau pour toute votre vie.» Par ailleurs, il ne faut pas occulter le rôle qu’a joué l’école obligatoire dans cette attitude: avec l’instauration de «normes intellectuelles», on déclarait inaptes ou «déficients mentaux/intellectuels» tous ceux qui n’arrivaient pas à suivre. Dans d’autres cultures, cette barrière entre le normal et l’anormal n’existe pas de façon aussi élitiste.

Petit à petit, les familles se sont pourtant mobilisées, des associations se sont créées pour mettre fin à cette forme de discrimination inacceptable. D’objet, la personne handicapée devient enfin sujet, des projets pédagogiques et de nouvelles formes de prise en charge se mettent en place. L’année internationale du handicap (1981) permet à l’ensemble de la population de prendre conscience des problèmes existants et de jeter un regard nouveau sur tous ceux que la vie a défavorisés. La Déclaration universelle des droits des personnes déficientes mentales a également permis de faire un pas en avant.

Comment aborder la sexualité?

Nous sommes à l’aube du 21e siècle, beaucoup de choses ont changé. «Mais travail à réaliser dans le domaine de l’éducation sexuelle spécialisée s’adressant aux personnes handicapées est immense», constate Françoise Vatré, sexo-pédagogue spécialisée et formatrice pour adultes, qui s’occupe de cette thématique depuis plusieurs années.

Avec sa collègue Catherine Agthe Diserens, elle propose un enseignement s’adressant prioritairement aux professionnels concernés (éducateurs spécialisés, soignants, pédagogues, responsables d’institutions). Ce module est intitulé Du Cœur au Corps».

«Lorsque nous ouvrons une porte sur les multiples expressions de l’affectivité de la sexualité des personnes vivant avec un handicap, et que nous considérons les réflexions et les ressentis de celles et ceux qui les entourent, nous rencontrons une grande humanité, beaucoup de lucidité et de beauté, de la noblesse… mais autant de tristesse, de résignation, parfois de révolte devant constat des limitations, mais aussi beaucoup de créativité pour des possibles… possibles!»

Ces deux professionnelles, en étroite collaboration avec des collègues belges et romands, ont contribué à la mise sur pied d’un programme d’éducation sexuelle adapté, avec un matériel et des méthodologies spécifiques. Il se nomme «Des femmes et des hommes».

Les sujets abordés sont les suivants: les relations dans un groupe, la vie affective et amoureuse, la relation au corps (le sien et celui des autres), l’approche de la sexualité, les éléments concernant le fonctionnement physiologique, le plaisir, la relation sexuelle, la fécondabilité, la contraception, les habitudes d’hygiène, les moyens de protection envers les MST, la vie de couple, le désir d’enfant, les aspects juridiques et la prévention des abus sexuels.

Françoise Vatré utilise également le shiatsu comme approche corporelle dans le cadre de ce travail, tant auprès des personnes concernées par le handicap qu’auprès de leur entourage professionnel et même familial.

Dans chaque espace de parole, on tient toujours compte de l’histoire individuelle pour essayer de trouver l’approche la plus adaptée à la singularité de chacun.

Un travail long et patient

A en croire Françoise Vatré, on s’achemine actuellement vers une plus grande ouverture face à la question de la sexualité des personnes handicapées. «Mais malgré des changements importants, un travail long et patient reste à faire. On rencontre toujours des personnes ouvertes, prêtes à changer d’attitude, à apprendre, à chercher de nouvelles solutions. Mais il y a encore trop de règles rigides, de limites considérées comme «intransgressables», de peurs inexprimées voire inconscientes, qui font obstacle à tout progrès.» L’exemple qui suit est parlant à cet égard:

Matthias, 28 ans, et Suzanne, 35 ans, vivent dans la même institution depuis longtemps. Il s’aiment bien. Ils désirent passer plus de temps ensemble, ils expriment l’envie d’avoir une chambre pour eux et d’avoir des relations sexuelles. Ils le désirent clairement, ils peuvent l’un et l’autre parler suffisamment intelligiblement pour être compris de l’équipe des éducateurs. Ils attendent la permission de vivre leur envie.

Dès lors, un partenariat est mis en route, les colloques et consultations se multiplient entre leurs référents respectifs, entre toute l’équipe de l’institution et la direction, entre leurs parents respectifs et plus récemment avec l’une de nous, animatrice en éducation sexuelle, appelée à organiser la réflexion et les prises de décision autour d’un consensus idéal à construire: le temps va nous montrer les méandres et difficultés, les espoirs et les cheminements qu’une telle demande va déclencher au sein de ce partenariat de fait, ce groupe d’adultes responsables obligés de se réunir et qui devraient pouvoir harmoniser toutes leurs idées, peurs, conceptions, résistances pour qu’un jour, Matthias et Suzanne s’endorment apaisés sur un même grand matelas, joignant leurs deux existences pour pouvoir vivre des possibles bouts de bonheur, à leur portée, avec leurs limites.

Que craint-on vraiment?

Pour que ces «bouts de bonheur» soient possibles, il faut parfois des mois, si ce n’est des années. Comme si pour accéder à ces moments de partage si importants, qui pour bien des gens sont à tel point banalisés qu’ils n’en apprécient même plus la valeur, il fallait prouver que l’on en était digne et capable, avec des critères encore plus performants que pour tout un chacun!

La crainte première, archaïque et réflexe de la société est liée à la procréation. Jusqu’il y a peu, il était en effet impensable que deux personnes handicapées puissent donner naissance à un enfant; d’ailleurs plusieurs pays ont pratiqué la stérilisation forcée jusque dans les années 80! Si aujourd’hui de tels abus ne sont plus possibles, la peur de l’enfant né de un ou deux parents «déficients» est toujours bien présente. C’est pourquoi, dans certaines institutions spécialisées, en Suisse comme ailleurs, on exige la contraception pour les jeunes filles et les femmes – même si la probabilité qu’elles puissent un jour avoir des relations sexuelles est minime.

Les autres craintes sont liées aux maladies sexuellement transmissibles et, sans qu’on l’avoue toujours, à la peur de perdre le contrôle d’une situation et qu’il y ait une plus grande vulnérabilité aux abus sexuels… puisque ces jeunes filles et ces femmes sont chimiquement protégées, et, de ce fait, moins étroitement surveillées.

Françoise Vatré insiste sur la différence à faire entre handicap mental et handicap physique: «Les personnes atteintes dans leur psychisme vont trouver le moyen de faire l’amour si elles en ont envie; elles vont se soustraire à la surveillance de leurs éducateurs ou soignants et se cacher Dieu sait où, leur corps leur obéira. Mais une personne en chaise roulante ou incapable de se mouvoir seule, si elle a envie de vivre une intimité sensorielle, sensuelle et sexuelle, ou un couple dans les mêmes conditions, doit avoir recours à un tiers et donc, doit trouver les moyens d’obtenir son accord et son aide.»

Le handicap physique

Si, concrètement, il est difficile pour une personne physiquement handicapée d’accéder à une vie sexuelle, il lui est en principe plus facile de faire valoir ses droits, comme le relève un jeune homme interrogé dans le cadre d’une enquête sur le sujet: «Je pense que c’est plus facile pour nous de faire reconnaître notre sexualité puisque nous avons toute notre tête pour communiquer et faire valoir nos droits. Il en va bien autrement pour les personnes souffrant d’un handicap mental.»

Malgré cela, la question se pose de façon particulièrement dramatique pour les personnes ayant un handicap acquis, suite à un accident ou à certains types de maladies. Les personnes victimes d’un traumatisme craniocérébral, qui se retrouvent paralysées du jour au lendemain, doivent parfois faire le deuil, partiel ou entier, de leur vie sexuelle, dont il leur reste le souvenir et la nostalgie. «Ce qui est terrible, constate Françoise Vatré, c’est que le silence s’installe par rapport à ce sujet. L’entourage se préoccupe du bienêtre de l’accidenté, de ses besoins élémentaires, de ses rapports sociaux, mais personne ne lui parle de sa sexualité.» Le partenaire, s’il y en avait un, souvent s’efface, et même si le lien affectif demeure, la perte des relations physiques est quelque chose de très douloureux. Preuve en est: Françoise Vatré et deux médecins ont donné une conférence dans un établissement accueillant des personnes traumatisées craniocérébrales. Au terme de l’intervention, l’émotion était très forte dans la salle, de nombreuses personnes avaient les larmes aux yeux, certaines sanglotaient: «Personne ne nous a jamais parlé de ça, ni le médecin, ni le psychologue, ni l’infirmière, absolument personne, depuis plusieurs années.»

Qu’est-ce qui est possible?

La question de fond est posée. En effet, si un consensus s’établit dans une institution pour autoriser les personnes handicapées à vivre leur vie affective et sexuelle, la mise en pratique pose des problèmes bien réels.

Car même après une préparation adéquate, où tous les aspects ont été abordés, le passage à l’acte se profile comme une autre réalité. Pour la personne elle-même et pour celles qui l’accompagnent. Un exemple:

H. est un jeune homme IMC âgé de 25 ans. Il manifeste le désir de vivre une expérience sexuelle avec une prostituée, mais comme il a de la peine à s’exprimer, il doit demander l’aide d’une tierce personne pour prendre le rendez-vous. Il demande ce service à une infirmière en qui il a confiance, mais qui, malheureusement, a en horreur la prostitution. Elle passe par différents états d’âme – déni, colère, révolte –, repousse toujours le moment de prendre le téléphone, puis prend conscience que cette tâche délicate fait partie des soins qu’elle doit donner à ce pensionnaire. Le jour du rendez-vous arrive: c’est à ce moment-là que H. lui annonce subitement qu’il n’a plus envie d’y aller…

La mission des sexo-pédagogues spécialisées que sont Françoise Vatré et Catherine Agthe Diserens ne s’arrête pas à un enseignement théorique. Désormais, on fait aussi appel à leurs compétences lorsqu’il s’agit de trouver une solution concrète dans une situation donnée. A nouveau, chaque cas est particulier: dans la situation évoquée ci-dessus, H. désirait uniquement vivre une expérience sexuelle, s’offrir un moment différent. Mais beaucoup de personnes handicapées recherchent surtout un lien affectif durable avec une personne de l’autre sexe, des moments d’intimité et de tendresse dont l’acte sexuel n’est qu’un aspect.

Pour les soignants, affronter ces situations est souvent difficile. Il y a donc des choses élémentaires à savoir, des règles à respecter (lire encadré). Mais pour cela, une préparation et un suivi sont bien entendu nécessaires.

Une réflexion toujours reconduite

Au fond, tout est possible, à condition que les barrières continuent de tomber.

Si le travail réalisé auprès des personnes directement concernées est essentiel, la formation et la réflexion éthique entreprise avec les accompagnants l’est également.

Pour les soignants, la question de la sexualité des patients – quels qu’ils soient – doit être abordée dès la formation de base, afin d’éviter des situations embarrassantes, quand ce n’est pas franchement insupportables. La sexualité touche aux questions existentielles de chacun et ne peut être simplement occultée.

Une excellente émission, réalisée récemment par France Culture sur le thème «handicap et sexualité», a mis en évidence à quel point la vie affective était primordiale pour les personnes souffrant d’un handicap, quelles que soient la nature et la gravité de celui-ci. Ce besoin fondamental d’être regardé, écouté, touché et surtout… aimé est extrêmement fort chez des êtres qui ont été pendant si longtemps «tout juste acceptés».

Et personne n’est en droit d’interdire d’aimer.

Un groupe interassociations

Le groupe interassociations «Sexualité et handicap physique» SEHP) réunit des personnes concernées professionnellement et/ou personnellement par cette thématique. Ses objectifs sont les suivants:

  • il se fait l’écho des réflexions éthiques, des témoignages concrets sur les difficultés subtiles rencontrées par les personnes handicapées et leur entourage familial et/ou institutionnel lorsqu’il s’agit de vie affective, d’intimité et de sexualité;
  • il propose des modules de formation afin de permettre à un cercle toujours plus large d’adultes concernés de bénéficier de ses réflexions, de ses expériences et d’apporter un nouveau regard sur la sexualité;
  • il publie des documents en rapport avec le thème «handicap et sexualité».

Composition du groupe: ARTANES – Association romande et tessinoise des animateurs en éducation sexuelle; ASCPF – Association suisse des conseillères et conseillers en planning familial; ASP – Association suisse des paraplégiques; CAP-CONTACT Association; PRO INFIRMIS Suisse romande.

Adresse de contact: SEHP – Sexualité et Handicaps Pluriels

A vous qui m’entourez tous les jours

«Je tiens à vous remercier pour votre accompagnement et votre aide. Vous êtes conscients des difficultés qui me rendent dépendant de vous. Vous me connaissez bien et vous répondez au mieux à mes besoins.
Il est toutefois une part au centre de mon existence qui est plus difficile à dévoiler: l’expression de ma vie affective et sexuelle. Je peux aimer, je peux être aimé: donner et recevoir du plaisir physique. Je peux m’exciter dans des moments de laisser-aller fantasmatiques. Pour réaliser mes envies, je dois être sûr que vous n’entrerez pas dans ma chambre sans y être invité, bien que je puisse justement avoir besoin de vous à ce moment-là.  J’ai aussi le droit de vivre ma sexualité, qu’elle soit amoureuse ou purement charnelle. Ne voyez pas ici une démarche revendicatrice, simplement l’amélioration de ma situation grâce à votre aide et votre compréhension.

  • Dans ma chambre, dans mon studio, je peux rester seul ou en compagnie d’une personne de mon choix, quel que soit le motif de sa présence et quoi que les autres en pensent.
  • Le lit est-il assez large?
  • J’ai le droit de visionner des cassettes X (certains films érotiques aident à la satisfaction des désirs).

Et selon ma situation, peut-être aurais- je besoin:

  • que vous m’aidiez à me déshabiller,
  • que vous me couchiez nu sur mon lit,
  • que vous me retiriez (puis reposiez) ma sonde urinaire,
  • que vous me laviez avant l’amour,
  • que vous me fassiez un lavement,
  • que vous m’aidiez à mettre un préservatif,
  • que je vous appelle en urgence pour un spasme, une douleur.

Enfin, lors de ma toilette, puis-je vous demander d’avoir une attitude compréhensive et discrète en lavant les sécrétions de mon plaisir et vous abstenir de manifester reproches et dégoût? Je sais combien il peut être délicat pour un tiers d’intervenir en faveur de mon intimité. Si cela s’avère trop problématique, je propose de faire appel à un intervenant spécialisé pour nous aider. Vous qui m’entourez et sans qui ma vie ne serait pas de cette qualité, je vous remercie d’avoir lu cette lettre, témoin de la confiance que je mets en vous.»

Source: Vivre aussi ma sexualité. Guide pratique No 2. Brochure conçue et éditée en partenariat par différentes associations (voir Références ci-dessous).

Références

  • Dossiers: La sexualité et les handicapé(e)s. Textes proposés par Catherine Agthe Diserens et Françoise Vatré. Edition SPC 2000, 5 vol. Ces dossiers peuvent être commandés à l’adresse suivante: Schweizerische Zentralstelle für Heilpädagogik (SZH), Obergrundstrasse 61, 6003 Luzern (les exemples et citations figurant dans cet article sont tirés de ces dossiers).
  • Vivre aussi ma sexualité, N° 2. Brochure réalisée par le Groupe interassociations «Sexualité et handicap physique (SEHP). Mai 1999.
  • Insieme, revue traitant des questions du handicap mental. Numéro spécial consacré à la sexualité, No 2, juin 2000.
  • Imelda Steger. Handicap physique et sexualité. Travail de recherche réalisé dans le cadre du cours de base romand d’éducation sexuelle, mai 1994.

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