Publié le 7 juillet 2011
Genève va piloter une vaste étude sur la trisomie
4 décembre 2006 – La Tribune de Genève – Nadia Esposito.
L’Union européenne alloue 12 millions d’euros à un projet dirigé par un Genevois.
En accueillant à Genève les équipes de 17 chercheurs de neuf pays différents, le professeur Stylianos Antonarakis pose aujourd’hui la première pierre d’un édifice d’envergure.
Le directeur du Département de génétique de la Faculté de médecine de Genève va piloter pendant quatre ans une vaste étude sur la trisomie. L’Union européenne l’a intégrée dans sa catégorie la plus ambitieuse de projets de recherche appliquée. Avec, à la clé, un budget de 12 millions d’euros. Une somme considérable, surtout en regard de la maladie en question.
«Les Etats et les fondations donnent généralement de l’argent pour le cancer ou le sida. La recherche sur la trisomie a été négligée. On pensait qu’avec le diagnostic prénatal et l’avortement, la maladie pouvait être évitée; dès lors, il n’était pas prioritaire d’investir dans la recherche. »
Dix fois plus que le sida
En réalité, la trisomie concerne une personne sur 700. «C’est dix fois plus fréquent que le sida en Europe», note le chercheur. Et c’est encore pire pour l’aneuploïdie, qui regroupe toutes les maladies dues à un chromosome de moins ou de trop dans nos cellules. Elle atteint 1% de la population et représente la première cause de mortalité infantile entre 1 et 4 ans. … Par ailleurs, cette maladie atteint chaque cellule cancéreuse. Il existe donc de nombreux types d’aneuploïdie: les monosomies (45 chromosomes au lieu de 46), les trisomies (47 au lieu de 46) et les microaneuploïdies.
Le public connaît surtout la trisomie 21, ou syndrome de Down. Le professeur en rappelle les symptômes familiers: retard mental, dysmorphie faciale, petite taille, visage aplati, anomalie du langage. … «Les trisomiques souffrent aussi souvent de maladies du cœur. Ils vieillissent plus vite et les hommes sont souvent stériles. »
Bien que les scientifiques aient désormais décrypté l’ensemble du génome humain, ils n’en ont pas encore compris tous les secrets. En 2000, Stylianos Antonarakis a coordonné le séquençage du chromosome 21. Il a découvert qu’il était le plus petit de tous avec quelque 270 gènes.
Tout l’enjeu de la recherche qui démarre aujourd’hui dans ces 9 pays est de trouver la fonction de tous ces gènes. Mais ce n’est pas tout; les gènes ne représentent que 2% du génome. Il existe d’autres régions très importantes, dites «non codantes», qu’il faut comprendre aussi. Une fois ce travail accompli, on saura mieux quels gènes et quelles régions non codantes jouent un rôle dans la trisomie. L’espoir est de trouver des médicaments capables de réguler l’expression des gènes responsables et d’intervenir avant ou juste après la naissance.
Une piste pour Alzheimer
En somme, conclut Stylianos Antonarakis, cette recherche est importante à plus d’un titre. Elle représente un grand espoir pour les familles touchées. «J’espère qu’elle permettra d’améliorer leur qualité de vie», insiste le chercheur. Comme la trisomie favorise la leucémie, Alzheimer et les troubles cardiaques, l’étude permettra sûrement de mieux comprendre ces autres maladies. Enfin, elle offre à Genève la responsabilité d’un projet scientifique de grande envergure. A l’heure où la compétition est dure, y compris à l’échelon national, c’est un cadeau bienvenu.
Médiateur pour ego importants
La recherche se mènera dans neuf pays et se déploiera sur quatre ans. Pourquoi Genève a-t-elle reçu l’honneur de la piloter? «Nous avons une expertise dans ce domaine, des technologies de pointe et un personnel très qualifié», répond le professeur Antonarakis, qui a choisi ses partenaires avec soin: «Chacun est le meilleur de sa spécialité. » Mais attention, rien n’est acquis. «L’Union garde un œil attentif sur nous. Elle demande un rapport scientifique et financier par an, commande des audits et nous fait suivre par un comité externe. »
Comment faire pour coordonner les travaux de dix-sept chercheurs établis dans neuf pays (Suisse, France, Allemagne, Italie, Espagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, République tchèque et Israël)? Tout est prévu: des conférences téléphoniques tous les quinze jours, des rapports scientifiques chaque mois, une base de données commune à Berlin et à Naples. Il faut y ajouter, comme dans une entreprise, un «project manager», un contrôle qualité, un responsable de l’éthique de laboratoire, une personne en charge de la propriété intellectuelle et une autre pour assurer un enseignement auprès du grand public et des écoles. Il y aura aussi un comité scientifique et enfin… un médiateur «pour faire le lien entre les équipes car il y a beaucoup de grands ego parmi nous!» (sd)
Stylianos Antonarakis, un chercheur brillant et pudique
L’intensité du regard dit la vivacité de la pensée. Le bleu azur pourrait être glacial. Au contraire, l’homme se révèle cordial et attentif.
On raconte que l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne aimerait l’embaucher. Mieux: il serait «nobélisable». Devant l’avalanche de compliments, l’homme reste modeste: «C’est très gentil, mais non…», esquive-t-il dans un sourire.
«D’une très grande réputation dans son domaine, il a une personnalité chaleureuse et intense qui ne laisse pas indifférent, confie son supérieur Jean-Dominique Vassalli, président de la section de médecine fondamentale. Cela ne le gêne pas de s’opposer à autrui, sur un sujet scientifique ou pour une question d’organisation. Et comme il sait, mieux que d’autres, se montrer gentil et ferme à la fois, il arrive à ses fins. Une autre qualité: il a su réunir autour de lui des chercheurs de très haut calibre. »
«Le café est meilleur en Europe»
D’où vient ce brillant cerveau? Né en Grèce en 1951, le jeune homme étudie d’abord la pédiatrie. Vite lassé par les «choses connues», il se lance dans la recherche en génétique, «une discipline très peu à la mode à l’époque». En 1979, il rejoint l’Université John Hopkins à Baltimore, la meilleure dans ce domaine. Il y passe son doctorat et devient, deux ans plus tard, professeur assistant. En 1988, il est nommé professeur ordinaire et dirige la génétique. Un parcours rapide, reconnaît-il.
Mais l’Europe lui manque. «Parce que le café y est meilleur», résume-t-il. Parents de quatre enfants, aujourd’hui trilingues, lui et sa femme désirent les élever en Europe. Oxford, Cambridge, ils hésitent… Finalement ce sera Genève. «Aux Etats-Unis, tout était mûr. Ici, j’ai eu la chance de pouvoir créer quelque chose de nouveau. L’Université et l’hôpital m’ont beaucoup aidé. » En 1992, quinze personnes travaillaient en génétique, il y en a 65 aujourd’hui. Qu’apprécie-t-il autant en Suisse? «La formation très sérieuse des doctorants et des techniciens, en théorie comme en pratique. » Le bémol? «Il n’y a pas assez de médecins qui font de la recherche. Il est difficile de combiner laboratoire et clinique. On perd beaucoup de talents ainsi. »
Proche de la communauté grecque, Stylianos Antonarakis se dit attaché à son pays d’origine. Il fréquente assidûment l’église orthodoxe et préside l’Association hellénique de Genève, qui organise des conférences sur la langue, l’histoire, la culture du pays. Pudique, il n’en dit guère davantage.