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Publié le 8 juillet 2011

L’enfant trisomique progresse à son rythme, mais sur une longue durée

Janvier/février 2002 –  Ortho-Magazine – Martine Laleuf.
Dominique DhennequinRobin est orthophoniste libérale à Tassin (69), chargée de cours et de travaux dirigés sur la trisomie à l’école d’orthophonie de Lyon.

L’apprentissage de la lecture chez un enfant atteint de trisomie ? Attendre son envie sans tenir compte de l’assimilation des pré-requis et utiliser une méthode phonético-gestuelle : ainsi pourrait-on résumer le travail de Dominique Dhennequin-Robin… Mais ce serait oublier l’énergie et la disponibilité qu’exige cette pratique orthophonique !

Ortho-Magazine: Dominique Dhennequin-Robin, vous avez acquis une grande expérience auprès des enfants atteints de trisomie en tant qu’orthophoniste. Quand avez-vous pris connaissance de cette pratique?

Dominique Dhennequin-Robin: Ma démarche professionnelle a été, je pense, un peu « originale ». Je me souviens avoir affirmé, en fin de 2ème année d’études, «je ferai tout, sauf de la trisomie ». Mais au moment de choisir le sujet de mon mémoire, le Dr Monique Porot, directrice du Centre d’action médicale sociale précoce (CAMSP) pour enfants sourds de Lyon, m’a proposé de filmer un enfant trisomique dont la maman, interprète en langue des signes, tentait de monter le langage à l’aide du « geste ». Ce fut ma première grande rencontre avec la trisomie, à raison d’une demi-journée par semaine pendant plus d’un an, et en complément des recherches nécessaires à l’élaboration de mon mémoire. Après l’obtention de mon diplôme, Monique Cuilleret m’a annoncé qu’une orthophoniste arrêtait son activité pour raison de santé et laissait ainsi plusieurs enfants en éducation précoce. C’est de cette façon que j’ai commencé à me spécialiser. Depuis, j’ai changé de cabinet mais pas de type de « patientèle »… Je l’ai simplement élargie à d’autres cas lourds, moins connus, parfois non étiquetés, mais toujours passionnants. En effet, même si les progrès sont lents, laborieux et parfois infimes, ils représentent pour moi une joie immense, une victoire sur le handicap.

Je me souviens d’un petit garçon de sept ans qui était venu avec son père. Cet enfant présentait des troubles autistiques très nets en plus de la trisomie. Nous avons effectué des échanges communicationnels en utilisant des jeux sonores. L’enfant était ravi; il s’est retourné vers son père pour l’associer à sa joie. Le papa a eu cette phrase, qui m’a profondément marquée: « Vous avez vu, il m’a regardé… C’est la première fois ». L’enfant avait 7 ans…

À quel âge prenez-vous en charge les enfants, et qui vous les adresse?

L’âge des enfants est très variable au moment de la prise en charge. Celle-ci doit débuter le plus tôt possible, à partir du moment où les parents peuvent faire cette démarche. Mon plus jeune patient avait deux mois lors de notre première rencontre. Comment viennent-ils ? Essentiellement (et malheureusement) par le « bouche à oreille », c’est-à-dire par d’autres parents, mais aussi des médecins, des paramédicaux et des instituteurs, spécialisés ou non. Je dis « malheureusement », car de nombreux parents regrettent de ne pas avoir su plus tôt que des orthophonistes spécialisées dans ce type de prise en charge existaient… Le travail en collaboration avec les institutions est rare (pour des raisons bassement matérielles: le « prix de journée » de la Sécurité sociale). Légalement, c’est l’institution qui devrait régler les séances, mais on se heurte le plus souvent à un refus motivé par des raisons budgétaires diverses, multiples… et sans doute en partie justifiées. En conséquence, les parents qui veulent vraiment poursuivre la rééducation de leur enfant viennent sans en avoir informé l’institution et me rémunèrent eux-mêmes.

C’est, à mon avis, bien regrettable, et très frustrant pour moi car je ne peux travailler en accord avec les autres intervenants.

Certaines institutions ou certains services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (Sessad) acceptent une intervention extérieure, et cela fonctionne parfaitement. De plus, lorsque l’enfant est intégré en classe ordinaire ou en Classe d’intégration scolaire (Clis), j’établis toujours de nombreux contacts avec l’équipe enseignante ainsi qu’avec les autres intervenants (kinésithérapeute, psychomotricien, psychologue…). Cela s’est révélé toujours extrêmement bénéfique pour l’enfant et pour le reste de l’équipe. J’ajouterai que les enseignants, souvent inquiets, sont alors rassurés.

Quelles épreuves privilégiez-vous lors du bilan? Quelle en est la durée?

La différence essentielle avec un bilan classique est l’absence de référence à un âge donné. L’âge réel de l’enfant n’a, pour moi, aucune importance. Qu’il ait 2 ans, 5 ans ou 8 ans, s’il en est au proto-langage, c’est ce dernier que je teste.

Pour cela j’utilise toujours des tests que je connais parfaitement, afin de mémoriser les réponses, me faire rapidement une opinion et ne pas être obligée de noter des éléments devant des parents souvent très inquiets des « résultats ». Par exemple, j’aime bien utiliser le test Nelly Caroll pour tester la compréhension simple; mais si je vois que l’enfant ne réagit pas ou peu à l’image, je teste sur consigne orale.

La difficulté principale d’un bilan de patient atteint de trisomie réside dans la diversité des niveaux et des éléments à tester. En ce qui concerne l’expression orale, cela va du simple son signifiant aux phrases avec marquages morphologiques et syntaxiques; mais il faut aussi étudier la poursuite visuelle et auditive, la coordination visuomanuelle…

Dans tous les cas, il est nécessaire de choisir les tests adaptés de façon rapide.

Le premier entretien dure environ deux heures (parfois 3!), avec une grande partie réservée à l’écoute, qui est un élément primordial. Le bilan avec l’enfant (ou l’adolescent, ou l’adulte) se poursuivra en moyenne encore pendant deux autres séances de 45 minutes.

Vous suivez vos patients très longtemps. Comment et à quel moment abordez-vous la lecture proprement dite?

Pour l’apprentissage de la lecture, je n’attends pas que les pré-requis soient en place. Toute personne qui a travaillé avec des patients trisomiques sait que l’on pourrait attendre l’âge de 20 ans sans que ces pré-requis soient atteints, alors qu’un adolescent peut très bien lire en comprenant parfaitement. Là encore, il n’y a pas, selon moi, d’âge particulier pour tel ou tel acte. L’enfant doit être intéressé par le fait de lire ; cela est manifeste, par exemple, s’il demande à l’adulte ce qui est écrit. Cela est très subjectif de ma part et tient à mon expérience. Il est vrai que je pratique une méthode phonético-gestuelle adaptée de celle de Suzanne Borel Maisonny. L’enfant, habitué à cette pratique (que j’utilise pour monter le langage oral), accède facilement à l’apprentissage de la lecture, et sa parole est améliorée de façon systématique. L’enfant est parfaitement conscient de ses progrès.

Dans la mesure du possible, je débute cet apprentissage en grande section de maternelle, afin que l’enfant qui entre en cours préparatoire (CP) puisse déjà connaître tous les phonèmes simples. Il a ainsi « un peu d’avance », et quelle que soit la méthode utilisée en classe, il pourra se raccrocher à ses acquis. Actuellement, environ 80 % de mes petits patients ont pu intégrer une classe de CP classique ou une Clis.

En quoi ce type de prise en charge est-il différent?

La différence fondamentale de cette prise en charge est la disponibilité du thérapeute, qui doit être très importante, j’allais dire sans limite. J’ai eu deux fois l’occasion d’être « l’oreille qui écoute au bon moment » (dont une fois à 23 heures) et je n’hésite pas à dire aux parents, lors du premier entretien: « Si vous en éprouvez le besoin, vous pouvez toujours me téléphoner ». A l’heure actuelle, une seule maman a abusé de cette possibilité. C’est peu!

La disponibilité doit exister vis-à-vis des parents ou de la famille, mais aussi des enseignants, des autres acteurs para-médicaux et de tous ceux qui approchent l’enfant (halte-garderie, crèche, aide à l’intégration…).

Bien évidemment, cela prend beaucoup de temps. Un jour, un confrère a même parlé de « sacerdoce »… Peut-être avait-il raison… Les difficultés les plus fréquentes sont liées à l’intégration scolaire. Les relations avec les psychologues scolaires, en particulier, sont souvent difficiles, ceux-ci voulant systématiquement tester les enfants trisomiques avec des matériaux pour enfants dits « ordinaires », étalonnés avec des niveaux d’âge. Or, comme je l’ai dit plus haut, je pense que l’âge n’a pas d’importance. L’enfant trisomique progresse à son rythme mais sur une longue durée. Il me semble évident que l’on ne peut (et ne doit) pas tout mesurer avec le même moule. De façon très fréquente, lors d’une intégration scolaire, le niveau n’étant pas acquis, le chemin des établissements spécialisés nous est vite indiqué. Si je ne suis pas partisane d’une intégration à tout prix, celle-ci s’avère indispensable lorsqu’elle peut apporter un bienfait à l’enfant.

Pourquoi privilégiez-vous désormais cette pratique?

Ce travail me passionne. Il est vrai que les patients atteints de trisomie demandent plus de temps, plus de patience et plus de tension nerveuse qu’une « patientèle » classique. En un mot, c’est souvent éreintant. Mais en contrepartie, que de joies! Quel bonheur quand le succès, si minime soit-il, est au rendez-vous…!

Dans ce type de prise en charge, la place des parents est très importante; beaucoup de choses deviennent possibles grâce à eux. Ils assistent très souvent aux séances lors de la petite enfance et, de retour chez eux, ils reprennent les exercices abordés au cabinet. Je me souviens d’un congrès, auquel je m’étais rendue accompagnée d’une dizaine de couples de parents, dans le centre de la France. Le soir, réunis autour du dîner, nous échangions gaiement lorsqu’un papa, par-dessus le brouhaha de la table, a commencé une comptine apprise au cabinet… tous se sont alors mis à chanter en reprenant les gestes d’apprentissage, tapant dans leurs mains, écrasant leur nez… Ces moments exceptionnels gomment bien des fatigues et des désappointements.

On ne supprime pas le handicap, on le grignote seulement… Mais n’est-ce pas fabuleux?


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