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Publié le 7 juillet 2011

La leçon particulière

21 Novembre 1999 – Femina – Sylvie AMIEL
Comment travaille le Service éducatif itinérant, qui prend en charge, à domicile, les enfants d’âge préscolaire présentant des difficultés? Dans le canton de Vaud, la famille Pasche et leur petite Charlotte, trisomique, ont accepté de nous raconter leur expérience.

Cet après-midi, Charlotte a rendez-vous. Elle a 6 ans, du soleil plein les prunelles, un sourire craquant et des traces de dentifrice sur son pull marine: elle a lavé ses dents avec trop de hâte pour ne pas rater l’arrivée de Martine, enseignante spécialisée rattachée au Service éducatif itinérant (SEI). Depuis plus de cinq ans maintenant, Martine Rufini vient la voir régulièrement, à domicile, pour lui offrir les meilleures chances de développement.

A peine a-t-elle le temps de saluer les parents, Carmen et Christophe, Rowena, la grande sœur de 11 ans, Sem, 4 ans, le petit dernier, que déjà Charlotte s’impatiente et entraîne Martine dans l’escalier conduisant à sa chambre. Une petite table est prête. Martine apporte avec elle le matériel pédagogique adéquat, que l’enfant découvre à chaque fois avec ravissement. La séance peut durer une heure ou plus, selon la réceptivité de Charlotte. Aujourd’hui est un jour faste: la petite fille s’applique et se concentre sur ses exercices, sous l’objectif du photographe, qui ne l’impressionne pas du tout. Pendant ce temps, le reste de la famille vaque à ses occupations. Tout n’a pas toujours été aussi facile. Il a fallu commencer par s’apprivoiser, faire connaissance en douceur, se découvrir mutuellement petit à petit, jusqu’à ce que vienne la confiance.

Charlotte a tout juste 1 an quand Martine vient lui rendre visite pour la première fois. L’enseignante est la première personne étrangère à pénétrer dans l’intimité du cercle familial. C’est le pédiatre de Charlotte qui a parlé du SEI à ses parents. Une prise en charge précoce des enfants augmente leurs chances de développement, a-t-il expliqué. Alors ils ont décidé de suivre son conseil. Pour le bien de leur enfant et parce qu’ils ont conscience de leurs limites. Mais ils restent sur leur réserve. « Nous ne voulions pas être contrôlés », se souviennent-ils, et ils avaient tenu à être mieux informés sur les incidences que cela allait avoir sur leur mode de vie.

Tous deux envisagent donc l’arrivée d’une praticienne du SEI avec un peu d’appréhension. On leur a dit qu’elle allait les épauler dans leur tâche éducative et pédagogique. Mais comment va-t-elle apprécier la situation? Que va-t-elle penser d’eux, de Charlotte, de leur attitude à l’égard de l’enfant? De la vieille ferme qu’ils sont en train de retaper et qui n’offre guère de confort à un bébé?

Mais ni eux ni personne ne pouvait savoir… Et Charlotte est là. « Durant les premiers mois qui suivent sa naissance, une longue période de repli sur nous mêmes a été nécessaire pour accepter cette différence et arriver à se réjouir de sa présence parmi nous, se souviennent ses parents. On devait faire le deuil d’un enfant normal; on voulait se protéger des autres, se « blinder » pour les affronter et trouver des appuis. »

Martine sait le chemin difficile que Christophe et Carmen ont franchi pour apprendre à vivre avec l’imprévu. Elle sait aussi l’effort que le jeune couple doit faire sur lui-même pour lui ouvrir sa porte. Celle de sa maison et de ses émotions. Les premières entrevues sont mémorables. Charlotte pleure dès qu’elle quitte les bras de sa maman. « Je devais la garder sur mes genoux. Elle ne bougeait pas. Mme Rufini ne pouvait pas la toucher, se souvient Carmen. Puis, très progressivement, elle s’est habituée et a accepté de se séparer de moi. »

Carmen continue à assister à toutes les séances. Christophe vient aussi, parfois, quand son travail le permet. Avec leur aide, et tout en cherchant à répondre aux besoins de l’enfant, Martine a défini les objectifs à atteindre et commencé un travail de stimulation avec Charlotte. Petit à petit, la famille et l’enseignante spécialisée forment une vraie équipe, où chacun a son rôle. Carmen et Christophe restent des parents, que l’expérience et les conseils de Martine peuvent aider; Martine, une praticienne qui met sa compétence et son professionnalisme à leur service pour conduire Charlotte vers un maximum d’autonomie. Partenaires, ils entretiennent un dialogue constant, qui constitue la base même de la démarche du SEI.

Charlotte progresse. A son rythme, c’est-à-dire lentement. Mais sûrement. Parce que Martine pose sur leur fille un autre regard, les parents la découvrent à leur tour sous un nouveau jour. « Nous ne savions pas comment situer Charlotte par rapport à son handicap, puisque nous n’avions aucun point de comparaison. Avec Mme Rufini, nous avons découvert tout le potentiel qu’elle portait en elle; nous avons mieux perçu sa façon d’apprendre. » « Et mieux compris aussi certains comportements, ajoute Christophe, qui, tout de suite, a pris une part active à l’éducation de sa fille. Savoir ce que l’on peut exiger d’elle, reconnaître un caprice ou une feinte d’un trouble de comportement dû à son handicap, autant d’interrogations qui trouvent réponse. J’apprécie aussi l’approche du SEI qui, à travers le jeu, tient compte du langage, de la motricité et du développement cognitif. »

Charlotte grandit. Carmen assiste de moins en moins aux séances. Désormais, Charlotte reste souvent seule avec Martine. Au grand dam de Sem, arrivé entre-temps, et qui voudrait bien bénéficier lui aussi d’une leçon particulière… Mais il a aussi besoin de sa sieste! Peut-être finira-t-il par découvrir, comme sa sœur aînée, le trou judicieusement survenu dans la cloison de bois, qui permet de tout voir sans être vu ….

Charlotte s’affirme. Comme tous les enfants du monde, elle teste ses parents au cours d’une phase d’opposition qui met Carmen à rude épreuve. « J’étais contente de pouvoir en parler avec Mme Rufini. »

Au terme de chaque séance, l’enseignante prend le temps de discuter de son travail et d’aborder les différents problèmes qui peuvent survenir.

Charlotte fréquente maintenant l’école enfantine de son village deux matinées par semaine en complément à l’enseignement spécialisé dont elle bénéficie déjà depuis deux ans. Martine collabore avec les autorités scolaires et l’institutrice de sa classe afin de faciliter son intégration. Au terme de cette expérience, Charlotte n’aura plus besoin du Service éducatif itinérant.

Les particularités du Service

Chaque canton possède un Service éducatif itinérant qui offre une aide à domicile aux enfants d’âge préscolaire présentant des difficultés dans leur développement. Les enseignants interviennent auprès d’enfants handicapés physiques, mentaux ou souffrant de troubles neurologiques, psychologiques, moteurs ou sensoriels.

Ce service, généralement pris en charge par l’AI, est proposé aux parents par les instances médicales et sociales. Toute intervention ne peut être faite qu’avec l’assentiment des parents. Ces derniers peuvent aussi faire appel eux-mêmes, directement, au SEI.

Une fois les contacts établis, l’enseignante se rendra régulièrement dans la famille et établira, en collaboration avec les parents, un programme d’activités propres à favoriser le développement de l’enfant, selon des objectifs définis ensemble.

L’action du SEI se poursuit en général jusqu’à l’entrée de l’enfant dans une structure adaptée: classe de l’enseignement spécialisé, public ou autre.

Durant tout le temps de prise en charge, l’enseignante spécialisée collabore avec l’ensemble des personnes qui s’occupent de l’enfant.

Les praticiens en SEI romand ont des formations différentes selon les cantons (brevet d’enseignement spécialisé, diplôme de pédagogie curative, licence en psychologie), suivies d’une spécialisation en éducation précoce (PEPS). Ils sont membres de l’Association romande des praticiens(ennes) en SEI et suivent une formation continue. Chaque SEI est rattaché soit à une école spécialisée, soit à une association, soit à l’Etat.

Pour de plus amples renseignements sur l’ARPSEI

 

 


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